Partager ses rêves en collectif
Je tiens régulièrement des cercles de rêves dans lesquels des rêves sont partagés en groupe. Ce sont des espaces que j’affectionne particulièrement. En effet, je suis à chaque fois surprise de la puissance, de la douceur et de la pertinence qui s’y déploient. Ce sont des moments riches de connexions au monde onirique mais également d’humain à humain.
Alors, pourquoi partager ses rêves en collectif ? Qu’est-ce que cela apporte ? D’où cela vient-il ?
Le partage des rêves est une pratique courante chez de nombreux peuples dans le monde. Les Aborigènes d’Australie accordent une grande importance au monde onirique et le considèrent comme une source de guidance spirituelle (il est également très lié à leur cosmogonie avec le “Dreamtime” ou “Dreaming”). Ils pratiquent d’ailleurs des “Dreaming ceremonies” dans lesquelles ils se réunissent afin de se raconter leurs rêves, interpréter les symboles et les messages et réfléchissent sur la manière d’intégrer ces enseignements dans leur vie quotidienne.
Les peuples amérindiens partagent également leurs rêves et ces derniers ont une place privilégiée dans leur culture. Au cours de “Nightway ceremonies”, des chants sacrés sont entonnés afin d’attirer des rêves de guérison. Les visions et les messages reçus lors de ce songes sont vus comme des conseils spirituels. Robert Moss relate dans “Les Iroquois et le rêve chamanique” que la première activité du matin chez les Iroquois est de se raconter les rêves de la nuit, ceux-ci étant porteurs de messages tant pour la communauté que pour l’individu.
Une des visée de la quête de vision est de recevoir un rêve, un rêve qui va venir guider, qui va donner une vision au diéteur. Elle est d’ailleurs aussi appelée '“quête de rêve”.
Chez les Waguu de Manaure en Colombie, la journée commence par la question “Comment as-tu rêvé ?”. Ce ne sont là que quelques exemples montrant d’une part l’importance du rêve dans certaines cultures et comment, d’autre part, le rêve est traité de manière collective.
Aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, le rêve ne tient qu’une place limitée voire presque inexistante. Y a-t-il encore un temps pour rêver ? Cependant, il existe malgré tout des pratiques de partage de rêves : dans la sphère familiale, des membres se racontent leurs rêves surtout si celui-ci a été marquant, et dans les cercles de rêves ou loges de rêves.
Montagne Ullman, psychiatre et psycho-analyste américain, a organisé pendant de nombreuses années des partages de rêves en collectif. Pour lui, l’interprétation des rêves demande l’intervention d’un tiers, et le groupe peut prendre cette place. “Tel que je l’envisage, le rôle du groupe est d’apporter une aide qui soit en harmonie avec la nature du rêve, qui respecte les relations intimes entre le rêveur et son rêve, et qui préserve son autorité sur celui-ci”. Ullman soulève ici des points essentiels qui se retrouvent dans les cercles de rêves. Pour lui, il est crucial de respecter quelques règles : en effet, le fait d’entrer dans l’intimité de chacun demande une vigilance sur la confidentialité par exemple. L’identité du rêveur ne doit donc pas être révélée à l’extérieur. De plus, c’est le rêveur qui décide ce qu’il veut raconter, il a le droit de ne pas tout dire et également d’arrêter le processus à tout moment sans avoir besoin de se justifier.
Le principe de ces partages de rêves est de faire comme si le rêve raconté était celui de chaque participant.e et chacun.e exprimera ce qu”il a éprouvé en le revivant. Aucune remarque ,n’est mauvaise (du moment qu’on respecte l’intégrité du rêveur) : en effet, elles peuvent toucher juste ou, au contraire, aider le rêveur, la rêveuse à écarter ce que le rêve ne signifie pas pour lui/elle.
Ullman a notamment organisé des groupes de partage de rêves avec des personnes de milieux défavorisés. Il a constaté que cette pratique développait un sentiment de confiance mutuelle et de solidarité. Des recherches récentes ont d’ailleurs confirmé cet aspect: le partage des rêves est une expérience qui s’avère bénéfique pour le développement social et psychologique de l’individu et contribue à développer l’empathie.
Dans les groupes de rêves qui se rapprochent de la conception d’Ullman, on parle de vertu thérapeutique des rêves partagés. En effet, en plus de créer des liens entre les personnes, les rêves permettent d’aborder des sujets sensibles voire parfois très intimes qu’il serait difficile d’évoquer de manière directe et les participant.es réalisent que leurs ressentis, leur vécu, leurs émotions ne sont pas une expérience singulière, que les autres ont également connu des choses similaires. C’est ce que j’appelle, pour ma part, la magie du cercle.
Il y a d’autres approches de partage de rêves en collectif : Jean Gagliardi, spécialiste onirique, chercheur de la conscience, praticien chamanique et méditant, parle de “loges de rêves”. Il en anime depuis plusieurs années. Le principe est également de réunir des rêveur.ses afin de partager les songes de la nuit mais sans visée interprétative ni de thérapie collective. C’est un espace ouvert à la créativité, aux résonances et intuitions de chacun.e et dans lequel le rêve se déploie sous de multiples facettes. Je laisserai le lien d’un article de son blog dans lequel il explique sa conception des loges de rêves.
Partager ses rêves en collectif peut donc avoir de nombreux aspects positifs et cela quelle que soit l’approche. J’ai pu remarquer dans les cercles, que j’anime ou ceux auxquels je participe, qu’il est possible de :
vivre une expérience unique et enrichissante dans laquelle va se déployer des résonances et des perspectives de compréhension ainsi que de nouveaux axes de réflexion.
Participer à un espace d’apprentissage mutuel où chacun.e apporte ses propres expériences, connaissances et intuitions. Nous apprenons les un.es des autres. Les rêves nous enseignent et comme le rêve de chacun.e devient le rêve de tous.tes, chaque personne va pouvoir s’approprier les messages qui émergent.
Partager un moment de soutien, de réconfort et de lien social. Raconter ses rêves dans un groupe crée un espace de solidarité, d’unité, de compréhension mutuelle, d’empathie et de connexion. Les membres du groupe peuvent aider à comprendre le sens d’un rêve mais aussi, tout simplement, à surmonter les défis, les difficultés, les vulnérabilités que le rêve peut, parfois, faire traverser. Chacun.e offre un moment de présence, d’écoute qui s’avère très précieux.
Susciter l’inspiration et la créativité. Les rêves sont une grande source de créativité comme le montrent de nombreuses œuvres artistiques et découvertes scientifiques. En partageant nos rêves, nous stimulons notre imagination, découvrons de nouvelles idées, empruntons d’autres modes de pensée. Et de belles surprises peuvent voir le jour !
En tous cas, vous l’aurez compris, je vous encourage vivement à participer à un cercle de rêves afin d’expérimenter cette aventure passionnante qui peut nous aider à mieux nous connaitre en explorant les profondeurs de notre psyché et élargir notre vision du monde. Et surtout, se relier d’humain à humain.
Références :
Robert Moss, Les Iroquois et le rêve chamanique
Bruce Chatwin, Le chant des pistes
Patricia L. Garfield, La créativité onirique
Montague Ullman, La sagesse des rêves
Jean Gagliardi : la loge de rêves http://voiedureve.blogspot.com/2017/06/loges-de-reves_55.html
https://www.moustique.be/actu/2018/11/22/la-vertu-therapeutique-des-reves-partages-174342